II - LA VALEUR DE L’ARGENT ET DES CHOSES DANS LES ANNEES 1820-1832 AU TRAVERS DE L’ŒUVRE DES MISERABLES
Que pouvait-on acheter sous Charles X ou Louis-Philippe avec cinq centimes, un franc, deux francs, cinq francs, 20 francs or ou davantage ? L’œuvre de Victor Hugo nous donne de nombreux éléments de réponse.
La vie quotidienne
La vie de Marius, obligé de gagner sa vie en effectuant des traductions, nous livre plusieurs éléments d’information: « à force de labeur, de courage, de persévérance et de volonté, il était parvenu à tirer de son travail environ sept cent francs par an. Il en vivait pas mal. Il occupait dans la masure Gorbeau, moyennant le prix annuel de trente francs, un taudis sans cheminée. Il donnait trois francs par mois à la vieille principale locataire pour qu’elle vînt balayer le taudis et lui apporter chaque matin un peu d’eau chaude, un œuf et un pain d’un sou. De ce pain et de cet œuf, il déjeunait. Son déjeuner variait de deux à quatre sous selon que les œufs étaient chers ou bon marché. A six heures du soir, il prenait un plat de viande de six sous, un demi plat de légumes de trois sous et un dessert de trois sous. Pour trois sous, du pain à discrétion. En payant au comptoir, il donnait un sou au garçon. La vieille encaissait et lui adressait un sourire. Pour seize sous, il avait eu un sourire et un dîner. Sa nourriture lui coûtait vingt sous par jour, ce qui faisait trois cent soixante cinq francs par an. Pour quatre cent cinquante francs, Marius était nourri, logé et servi. Son habillement lui coûtait cent francs, son linge cinquante, son blanchissage cinquante. Le tout ne dépassait pas six cent cinquante francs. Il lui restait cinquante francs. Il était riche. Il prêtait à l’occasion dix francs à un ami. ».
Il était donc possible à l’époque de vivre misérablement avec un revenu d’une soixantaine de francs par mois, soit deux francs par jour.
Soixante francs de l’époque semblent ainsi comparables à environ 530 euros de nos jours (3.500 F), prix approximatif pour une sordide chambre de bonne (900 F mensuels), un déjeuner frugal et un seul repas quotidien (70 F par jour soit 2.100 F par mois), et de menues dépenses d’habillement et d’entretien (500 F par mois).
En ce cas, le rapport entre les francs de 1832 et les francs actuels serait ainsi approximativement de un à soixante. Toutefois, il est difficile de comparer les époques car les contraintes fiscales et sociales ne sont pas les mêmes et les charges modernes et le coût des services grevant le commerce alourdissent fortement les prix, le prix d’une chambre d’hôtel en 1832 et en 2002 n’englobant pas les mêmes charges.
Diverses études publiées notamment par l’INSEE nous donnent des informations nous permettant de comparer et reconstituer le pouvoir d’achat du franc au fil des époque. L’on sait ainsi qu’un franc de 1901 correspond à 18,64 F de 1994. On lit par ailleurs qu’un franc de 1803 valait 11,50 F en francs 1980[8].
Compte tenu du fait qu’un franc de 1980 correspond à 2,01 francs de 1994, on peut déduire qu’un franc de 1803 correspondrait à environ vingt-cinq francs 2002 (11,5 x 2.01 x l’inflation de 1994 à 2002), soit environ quatre euros. L’on note que le pouvoir d’achat du franc est resté stable de 1803 à 1860, ne s’érodant que de 11,50 F à 10 F en valeur 1980.
Sur la base d’un rapport de un à vingt-cinq, une pièce de cinq francs correspondrait à environ 125 francs actuels (environ 20 euros). Un louis d’or de vingt francs correspondrait à 500 francs actuels (environ 75 euros).
Une pièce de un sou de cinq centimes représenterait à peu près 1 franc de 2001 (15 centimes d’euros). Un centime de 1832 correspondrait à 25 centimes de nos jours (4 centimes d’euros).
La pièce de quarante sous (2 francs) volée vers 1820 par Jean Valjean au petit savoyard correspondrait à une somme d’environ cinquante francs actuels (environ 7 euros) avec laquelle il était possible de subsister plusieurs jours. On comprend mieux la détresse du petit savoyard, deux sous permettant d’acheter un bon morceau de pain.
Les pensions et les rentes
L’examen du montant des pensions permet d’avoir une idée du montant qui était nécessaire pour l’entretien d’une personne déterminée.
L’amant de Fantine et père de Cosette, Tholomyès, « l’antique étudiant vieux », était qualifié de « riche » avec « quatre mille francs de rente », soit un équivalent de 10.000 F mensuels (1.500 euros).
L’on sait que le grand-père de Marius était disposé à lui adresser semestriellement la somme de soixante pistoles, soit 1.200 F annuels, soit 100 francs par mois, ce qui correspondrait à 2.500 F de nos jours.
Une rente de 1.200 livres annuels était jugée totalement insuffisante pour un couple ainsi que le lance M. Gillenormand à Marius qui lui demande la main de Cosette: « C’est cela. Vingt et un ans, pas d’état, douze cent livres de rente par an, Madame la baronne Pontmercy (Cosette) ira acheter deux sous de persil chez la fruitière ».
La pension qu’il versait à la Magnon pour les deux enfants bâtards qu’il avait eu d’elle, révèle la différence de traitement financier entre enfants légitimes et adultérins : « les enfants (de la Magnon) étaient précieux à leur mère. Ils représentaient quatre vingt francs par mois. Les quatre-vingt francs étaient fort exactement soldés au nom de Monsieur Gillenormand par son receveur des rentes, Monsieur Barge, huissier retiré rue du roi de Sicile. Les enfants morts, la rente était enterrée. La Magnon chercha un expédient. Il lui fallait deux enfants. La Thénardier en avait deux. Les petits Thénardier devinrent les petits Magnon ». Les quatre-vingt francs mensuels représentent un coût de l’ordre de 300 euros en équivalent actuel, soit 150 euros par enfant, un tel montant étant couramment fixé de nos jours par les juges aux affaires familiales.
Cette somme était une aubaine appréciable pour la Magnon. L’on sait en effet que les Thénardier exigeaient de Fantine pour l’entretien de Cosette, sept francs, puis douze, puis quinze francs mensuels.
Le grand-père Gillenormand disposait pour sa part d’un revenu de 15.000 livres annuels, soit 375.000 francs actuels (57.000 euros).
Les revenus
Le salaire des gens de maison
Le personnel de maison féminin qualifié pouvait gagner de trente à cinquante francs par mois, soit un franc (vingt sous) à un franc cinquante (trente sous) par jour : « un jour, une fière cuisinière, cordon bleu de haute race de concierges, se présenta. Combien voulez- vous gagner de gages par mois ? lui demanda Monsieur Gillenormand. Trente francs. Comment vous appelez-vous ? Olympie. Tu auras cinquante francs et tu t’appelleras Nicolette». Les gages variaient donc de 750 F à 1.250 F par mois en équivalent actuel (114 à 190 euros).
Les revenus d’un manœuvre
Lorsque Jean Valjean arrive à Grasse après avoir été libéré du bagne de Toulon, il aide à décharger des marchandises. Il indiquera par la suite : « depuis quatre jours je n’ai dépensé que vingt cinq sous que j’ai gagnés en aidant à décharger des voitures ».
Un porteur d’eau pouvait gagner environ huit sous par jour, soit environ dix francs en valeur actuelle (1,5 euro) [9]. A un liard le seau, il devait en apporter quarante.
Le salaire des couturières
Après que Fantine ait perdu son emploi à la fabrique, « elle se mit à coudre de grosses chemises pour les soldats de la garnison et gagnait douze sous par jour (60 centimes)», soit 15 F quotidiens (2,30 euros) en valeur actuelle.
Les revenus d’un pigiste
Marius gagnait sept cent francs par an à faire ponctuellement des traductions, soit une moyenne de 2,25 F de l’époque par jour en tenant compte d’un jour de repos hebdomadaire (environ 56 F actuels ou 8,60 euros). Cela représentait une rémunération lui permettant de ne vivre que très pauvrement. On frémit en pensant à la vie de Fantine avec ses douze sous ou au porteur d’eau avec ses huit sous. On apprend par la suite « qu’un des libraires pour lesquels il travaillait lui avait offert de le prendre chez lui, de le bien loger, de lui fournir un travail régulier et de lui donner mille cinq cent francs l’an (37.500 F annuels soit 3.125 F mensuels –476 euros- nourri et logé) » .
Le traitement des hommes d’Eglise
Selon le récit, l’évêque de Digne percevait en 1815 un traitement annuel de quinze mille francs auquel s’ajoutait une indemnité pour frais de carrosse, de poste et de tournées pastorales de trois mille francs supplémentaires, soit au total dix huit mille francs annuels (450.000 F ou 68.600 euros). Cela pourrait correspondre en valeur actuelle à un revenu mensuel de l’ordre de 37.500 francs (5.716 euros). Un revenu supplémentaire lié à des évènements exceptionnels, appelé casuel, est évoqué et pouvait accroître de dix mille livres les revenus de l’évêque.
Les revenus du capitalisme
Jean Valjean, devenu un riche industriel de Montreuil sur Mer, a pu se constituer un capital de six cent mille francs. Avant qu’il n’ait perdu son entreprise, il avait pu déclarer : « dans dix ans, j’aurai gagné dix millions ». La seule somme de 600.000 francs pourrait correspondre à quinze millions de francs en valeur actuelle (2 ,30 millions d’euros) ce qui est considérable. Les années de cavale ont peu entamé ce capital puisqu’il reste au jour du mariage, 584.000 francs pour la dot de Cosette.
L’hôtellerie
Un voyageur passant la nuit dans une auberge pouvait obtenir une chambre minable pour vingt sous (un franc), ainsi que le confirme le roulier, et un souper pour six sous (trente centimes), soit au total un franc trente. Le « chef d’œuvre » de Thénardier cherchant à soutirer un maximum d’argent à Jean Valjean en établissant « après un bon quart d’heure et quelques ratures » une carte à vingt-trois francs, c’est à dire les gages mensuels d’une femme de chambre, ne correspond évidemment pas à des prix normaux. La mère Thénardier le confirme : « vingt-trois francs ! s’écria la femme avec un enthousiasme mêlé de quelque hésitation…C’est juste mais trop (!). Il ne voudra pas payer». Réponse de l’homme : « Il paiera, je dois bien mille cinq cent francs moi ».
En équivalent actuel, sur la base d’un rapport de un à vingt-cinq, le prix de la chambre était de l’ordre de vingt-cinq francs (3,80 €), et celui du souper de 7,50 francs (1,14 €).
Les services
La conversation entre Javert et le chauffeur du fiacre nous renseigne sur le tarif horaire des cochers, la dégradation du velours des banquettes par la sang de Marius introduisant cependant un élément d’incertitude : « Combien te faut-il, y compris ta station et la course ? Il y a sept heures et quart, Monsieur l’Inspecteur, répondit le cocher, et mon velours était tout neuf. Quatre-vingt francs Monsieur l’Inspecteur. Javert tira de sa poche quatre napoléons et congédia le fiacre ».
Marius désirant prendre un fiacre pour suivre Cosette se verra réclamer un acompte de quarante sous par le cocher (deux francs de l’époque, soit environ quatre vingt francs actuels). Plus loin, il est mentionné un tarif de trois à quatre sous par lieue.
Lorsque Monsieur Madeleine demande à louer un cabriolet pour gagner Arras afin d’assister au procès de Champmathieu, le garagiste lui lance : « Il me faudra trente francs par jour. Pas un liard de moins ! Monsieur Madeleine tira trois napoléons de sa bourse et les mit sur la table ».
Il fallait s’acquitter d’un péage de un sou, soit 1,25 F actuels (0,20 euros) pour franchir le pont d’Austerlitz sur la Seine à Paris : « c’est deux sous, dit (à Jean Valjean qui portait Cosette) l’invalide du pont. Vous portez là un enfant qui peut marcher. Payez pour deux ! » .
Le mobilier
Le livre de Victor Hugo fournit une indication sur le prix des meubles de valeur : « l’ambition de Mlle Baptistine eût été de pouvoir acheter un meuble de salon en velours d’Utrecht jaune à rosaces et en acajou à cou de cygne avec canapé. Mais cela eût coûté au moins cinq cent francs et, ayant vu qu’elle n’avait réussi à économiser que quarante deux francs et dix sous en cinq ans, elle avait fini par y renoncer ». Le meuble en acajou avec canapé correspondrait à 12.500 F actuels (1.900 euros).
Les vêtements
Marius a cédé son vieux costume, appelé « défroque », pour vingt francs, soit environ 500 francs actuels (76 euros).
L’horlogerie
Marius cède sa montre pour la somme de 45 francs, soit environ 1.125 francs actuels (170 euros).
Les travaux publics
L’œuvre des Misérables contient des développements extraordinairement précis sur les égouts de Paris, boyaux souterrains dans lesquels Jean Valjean va se livrer à une extraordinaire équipée en transportant Marius agonisant sur les épaules. L’on apprend les renseignements suivants : « à deux cent francs le mètre, les soixante lieues d’égout du Paris actuel représentent quarante huit millions de francs. L’ancienne architecture, hautaine et royale jusque dans l’égout, avec radier et assises courantes en granit et mortier de chaux grasse, coûtait huit cent livres la toise ».
Les jouets
La splendide poupée qu’offre Jean Valjean à la petite Cosette, merveilleux jouet devant lequel s’extasiaient depuis le matin tous les marmots du village, coûte trente francs, une fortune pour l’époque, environ 750 francs (114 euros) en valeur actuelle. Cet achat exacerbe l’avidité de Thénardier : « Pas de bêtises. A plat ventre devant l’homme ! ».
Le corps humain
La malheureuse Fantine vendra ses cheveux pour dix francs et ses deux incisives pour vingt francs pièce, soit environ 500 francs actuels l’unité (76 euros).
Le bagne
La qualité de Jean Valjean, ancien forçat du bagne de Toulon, nous permet de glaner des informations sur l’argent dans le milieu carcéral de l’époque.
Le personnage de Jean Valjean nous donne tout d’abord une indication sur le montant du pécule de sortie d’un forçat: « J’ai de l’argent. Ma masse. Cent neuf francs quinze sous que j’ai gagnés au bagne par mon travail en vingt neuf ans ».
Puis l’on découvre avec étonnement l’habileté des Benvenuto Cellini du bagne, qui arrivaient à truquer des grosses pièces de cinq centimes ainsi qu’il suit: « Le malheureux qui aspire à la délivrance trouve moyen, quelquefois sans outils, avec un eustache ou un vieux couteau, de scier un sou en deux lames minces, de creuser ces deux lames sans toucher aux empreintes monétaires et de pratiquer un pas de vis sur la tranche du sou de manière à faire adhérer les lames de nouveau. Cela se visse et se dévisse à volonté. C’est une boîte. Dans cette boîte, on cache un ressort de montre et ce ressort, bien manié, coupe des manilles de calibre et des barreaux de fer. On croit que ce malheureux forçat ne possède qu’un sou. Point. Il possède la liberté….On découvrit également une petite scie en acier bleu qui pouvait se cacher dans le gros sou».
On apprend également qu’à la prison de la Force, l’ail coûtait soixante cinq centimes (!) et un cigare cinq centimes. L’on se demande si ce ne serait pas plutôt l’inverse. Javert, avant de mourir, dénoncera « les détenus dits aboyeurs qui appellent les autres détenus au parloir et se font payer deux sous par le prisonnier pour crier son nom distinctement. C’est un vol ! ».
Les véhicules
On pouvait à l’époque acheter un cabriolet pour cinq cent francs : « A combien estimez-vous cabriolet et cheval ? A cinq cent francs, Monsieur le Maire. Les voici ! Monsieur Madeleine posa un billet de banque sur la table ». L’ensemble coûtait donc environ 12.500 francs en valeur actuelle (1.900 euros).
Il est indiqué que la construction d’un navire de ligne coûtait deux millions de francs, soit environ cinquante millions de francs actuels (7,62 millions d’euros).