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OBSIDIONALES DE MAYENCE
26
NUMISMATIQUE ET HISTOIRE
DU SIEGE DE MAYENCE (1792-1793)
Depuis 1789, la France est en ébullition. Elle entre rapidement en conflit avec ses voisins, gouvernés par des monarchies où les immigrés royalistes français s’activent. C’est en suivant l’Armée des Vosges et les opérations militaires dans la Rhénanie et autour de Mayence de septembre 1792 à juillet 1793 que nous évoquerons les enjeux, contradictions et destins personnels de cette époque... avec ses témoins de l’histoire que sont les monnaies et assignats obsidionaux émis par la garnison française de Mayence, assiégée par les forces prussiennes.
par Jérôme COTTE,
du Cercle Numismatique de Nice
I - Contexte historique et histoire du siège de Mayence

1- Le Contexte militaire

Les débuts militaires de la Révolution Française sont plutôt médiocres, et c’est sur le sol national que la France se bat au début. Le 20 septembre 1792, c’est la victoire de Valmy, où les soldats français battent la coalition des forces prussiennes, autrichiennes et des royalistes immigrés. Fin octobre, le territoire français est entièrement libéré. La Convention, qui se veut pacifique, est alors partagée sur la conduite à tenir : faut-il se contenter de défendre les frontières hérités de l’Ancien Régime, continuer de faire avancer les armées pour écraser définitivement l’ennemi, ou continuer la guerre pour  libérer du joug féodal les autres peuples voisins opprimés ? Certains prônent la doctrine des « frontières naturelles » de la France : le territoire compris entre les Pyrénées, les Alpes et le Rhin doit être le territoire national, puisque la nature l’a ainsi voulu... et que les intérêts défensifs militaires y trouvent leur compte. Chez les généraux, personne n’hésite : il ne faut pas s’arrêter là. Dumouriez, commandant l’Armée du Nord et récent vainqueur de Valmy, écrit ainsi le 26 octobre à Kellermann : « Le Rhin doit être la seule borne de notre campagne depuis Genève jusqu’à la Hollande ».
2 - La prise de Mayence (21 octobre 1792)

Sur le terrain, sans attendre aucun ordre, l’armée des Vosges, commandée par le général Custine, poursuit son avancée. Adam Philippe, Comte de Custine (image ci- dessous), est né le 4 février 1740 à Metz. Entré très jeune dans le métier des armes, il commande un régiment modèle que lui donne le duc de Choiseul, vite surnommé « le régiment des Dragons de Custine ». Il part ensuite se battre avec les forces françaises qu’envoient Louis XVI pour aider les insurgés des Etats Unis d’Amérique. Bref, Custine est issu de la classe des officiers de l’ancienne armée royale, comme d’ailleurs toute la première génération des généraux de 1792 (Dumouriez, Houchard, Luckner). L’armée des Vosges de Custine continue donc son avancée dans le Palatinat, où les paysans l’accueillent bien, et lui apportent même leur aide (ravitaillement, enrôlements volontaires). La ville de Spire est conquise. Puis, le 5 octobre, les Français entrent dans Worms. Devant l’avancée française, le prince électeur de Mayence quitte précipitement la ville, et le 21 octobre 1792, Custine entre sans difficulté dans la cité qui lui ouvre ses portes.
3- La ville de Mayence en 1792

La ville de Mayence, située au confluent du Rhin et du Main (fleuve dont elle tire d’ailleurs son nom en allemand, Mainz), est depuis le haut moyen âge le siège de l’archevêque métropolitain de Germanie. C’est en quelque sorte le « Lyon allemand ». Depuis le XIII° siècle, l’archevêque de Mayence dirige l’élection de l’Empereur du Saint Empire Romain Germanique. Electeur lui-même, le prince archevêque de Mayence a la préséance sur tous les autres princes électeurs, et c’est lui qui assume le vicariat de l’Empire (« l’intérim ») dans l’attente de l’élection d’un nouvel Empereur.

Mayence possède une belle cathédrale romane, le Dom, construite vers 1100 (ci-contre), et une université réputée qui sera fermée en 1798. Mayence connait trop bien les armées françaises, comme d’ailleurs l’ensemble de l’Alsace et de la Rhénanie. En effet, chacune des guerres entre la France de Louis XIV et l’Empire a ravagée ces régions, et les exactions ont été nombreuses. La ville elle-même a déjà été occupée par les Français en 1644 et en 1688. C’est donc une population plutôt indifférente et résignée qui accueille les soldats de Custine, dans une ambiance froide qui contraste avec la chaleur des paysans du Palatinat.
4 - La Société des Amis de la Liberté et Georg FORSTER

Mais à Mayence vivent aussi des bourgeois et des intellectuels qui adhèrent entièrement à l’idéal révolutionnaire. C’est ainsi que le 23 octobre, soit 2 jours seulement après la prise de la ville, ils créent la « Société des Amis de la Liberté et de l’Egalité », sur le modèle du Club des Jacobins de Paris. Cette société a pour but de rassembler les esprits éclairés de la ville pour diffuser la Raison et ses lumières. Et elle rencontre un certain succès, puisqu’elle compte rapidement 500 membres. L’un des principaux animateurs de la Société des Amis de la Liberté et de l’Egalité est une personnalité étonnante, Johann Georg FORSTER. Issu d’une famille de pasteurs de Dantzig, il suit ses parents en Angleterre. Il s’embarque ensuite avec son père comme naturaliste sur les bateaux du capitaine Cook, et part avec lui dans l’hémisphère austral. De retour, il rédige en 1780  Le Voyage autour du Monde, livre qui aura un succès certain. Il s’installe à Kassel, puis ,en 1788, à Mayence où il travaille comme bibliothécaire de l’université.
5- L’organisation provisoire de Mayence sous l’occupation française (23/10/1792 - 17/03/1793)

Sans consigne particulière de la Convention, Custine demande aux corporations de la ville leur souhait en matière de gouvernement. La réponse surprend le général : une monarchie tempérée par des Etats !!! Custine met alors en place une administration provisoire de 9 membres, sous la présidence de Dorsch, et la vice présidence de Forster. La Société des Amis est active : elle organise des bals et des fêtes, et plante l’arbre de la liberté. Le 6 novembre, la Société des Amis organise une manifestation beaucoup plus solennelle : la population de Mayence est invitée à venir inscrire son nom soit sur le livre noir de la Monarchie, enroulé de chaînes, soit sur le livre rouge de la Liberté et de l’Egalité. Cette cérémonie ne rencontre pas le succès escomptée, et, pire, divise les habitants de la ville... au grand dam de Custine, qui a trouvé dans la Société des Amis plus républicain et radical que lui !

En décembre 1792, la Convention décide d’appliquer aux territoires occupés les mêmes lois qu’en France : les privilèges sont abolis, et de nouvelles institutions doivent être introduites. Custine prend du galon, et réunit désormais sous son autorité les armées des Vosges, du Rhin et de la Moselle. C’est néanmoins le général Dumouriez, commandant des 4 corps français en Belgique (soit 72.000 hommes) qui reste  le premier des généraux français. Pendant ce temps, le 23 janvier 1793, Louis XVI est guillotiné à Paris, et fin février 1793, la guerre reprend en Belgique et sur le Rhin.
6- La Convention Rhéno-Germanique (mars 1793)

A Mayence, selon les souhaits de la Convention de Paris, de nouvelles autorités sont élues pour les territoires rhénans allemands occupés. Le 17 mars 1793, les 65 députés de la nouvelle autorité, la Convention Rhéno-Germanique, siègent à Mayence pour la première fois, sous la présidence de Hoffmann. Le Club des Amis, trop radical et excessif,  en rupture avec la majorité de la population de Mayence, a été dissous durant l’hiver. Une partie de ses membres est toutefois élu à la nouvelle assemblée : Forster est en même le vice-président ! Le 18 mars, la Convention, première assemblée populaire allemande élue, proclame le pays de Bigen à Landau Etat libre, et s’affranchit de tout lien avec le Saint Empire Romain Germanique.

En séance, Forster prône le rattachement pur et simple à la France, en développant l’argument des frontières naturelles. Custine, malgré les ordres de Paris, décide d’attaquer en poussant vers Francfort. Mais il est battu par les Prussiens, doit se replier, et il perd dans cette opération une partie importante de son artillerie. Le 30 mars 1793, Custine se retire sur Landau, car il est menacé d’être encerclé dans Mayence par les Prussiens. Puis c’est toute la région comprise entre le Rhin et la Moselle qui est évacuée par l’armée de la République. Custine impute avec une certaine mauvaise foi cette défaite à l’incapacité de l’intendance, des bureaux de la Guerre. Paris et Robespierre continuent pourtant à lui garder toute  leur confiance.
7- Le blocus de Mayence (31/3/1793 - 23/7/1793)

Si l’armée de Custine s’est repliée, une garnison de l’armée française commandée par le général Doyre s’est enfermée dans les murs de Mayence. A l’arrivée des Prussiens, ce sont environ 22.000  personnes (soldats français compris) qui se trouvent dans la ville. Commence alors le 31 mars 1793 le siège de la ville par les 80.000 soldats prussiens commandés par le roi de Prusse Frédéric Guillaume II en personne. Les Prussiens encerclent la ville, lui interdisant tout ravitaillement. Ils installent leur artillerie sur les collines environnantes d’où ils pilonnent Mayence. Les Français tentent des sorties, en vain. Le temps passe, Mayence résiste, mais aucun secours n’arrive. Il est à noter que c’est lors de ce siège qu’a eu lieu la première reconnaissance officielle de la République par une puissance monarchique ennemi. En effet, lors d’un échange de prisonniers, les officiers prussiens s’expriment en ces termes : « le Roi de Prusse à la République Française ». C’est alors que sont frappés et imprimés des monnaies et assignats par les Français assiégés de Mayence, pour payer les soldes de l’armée, qui l’utilisent ces moyens de paiement au sein de la cité. Les bombardements continuent alors qu’arrive la chaleur de juillet. La disette s’installe dans la ville. Le 23/7/1793, après une résistance de près de 4 mois, Mayence capitule. Il ne reste que 17.000 personnes dans la ville, où entre le général prussien Kalkreuth avec son armée. La garnison française obtient les honneurs de la guerre, et les soldats français quittent Mayence libres à condition de ne pas servir pendant un an contre les forces coalisées.
II-  La numismatique du siège

Durant ce siège, des monnaies et des assignats ont été émis. Les monnaies de siège à proprement parler sont au nombre de 3 : la pièce de 1 sol, 2 sols et 5 sols, en bronze. Elles ont été gravées durant le siège par un certain Jacques Stieler. Ces 3 monnaies ont des gravures identiques, si ce n’est bien sûr pour l’indication de la valeur. L’avers représente un faisceau au bonnet phrygien, entouré de deux rameaux de chênes, avec la légende « République Française - 1793 - l’an 2E ».
Le motif choisi du faisceau avec les rameaux de chênes est très proche du revers des monnaies françaises de 3 deniers et 6 deniers de la monarchie constitutionnelle. Le E de la légende est interprété par Mazard comme l’initiale du mot Egalité (l’an 2 de l’Egalité), alors que le Gadoury 2001 nous indique qu’il s’agit tout simplement du E pour deuxième (l’an 2ème). Au revers, entre trois fleurs à pétales, est indiquée la valeur, avec une légende circulaire « Monoye de siège de Mayence ». Notons que la pièce de deux sols comporte une variante, avec des rameaux de chênes touffus à l’avers. Ces monnaies ont été frappées pour payer les solde des troupes françaises, mais elles ont circulées dans la région bien après le siège, ainsi qu’en France, où les soldats libérés par les Prussiens sont retournés dépenser les pièces.
Les bombardements continuent alors qu’arrive la chaleur de juillet. La disette s’installe dans la ville. Le 23/7/1793, après une résistance de près de 4 mois, Mayence capitule. Il ne reste que 17.000 personnes dans la ville, où entre le général prussien Kalkreuth avec son armée. La garnison française obtient les honneurs de la guerre, et les soldats français quittent Mayence libres à condition de ne pas servir pendant un an contre les forces coalisées.
Guilloteau nous indique aussi l’existence de jetons-monnaies pour le péage du pont de Mayence traversant le Rhin, coupée directement dans du bronze, et à la frappe très vile. Il s’agirait de monnaies de 1,2, 10 et 12 kreuzers (système monétaire allemand), reprenant le faisceau républicain avec l’inscription R.F (pour République Française), et au revers la roue, principal motif du blason de la ville de Mayence. Ces jetons-monnaies sont très rares.
Enfin, des assignats unifaces ont été émis. Si l’on en croit le timbre qui a été apposé, ils ont été émis  en mai 1793. On note que ces assignats devaient au final être échangé contre « du numéraire » (mention figurant sur la coupure de  3 livres ) ou bien « contre billon ou monoye de métal de siège » (mention figurant sur l’assignat de 5 sols). Cette dernière inscription laisse penser que leur émission a été concomitante ou postérieure à celle des monnaies de sièges. On trouve aussi des assignats français réutilisés au verso, qui sont aussi « remboursables en espèces ».
Epilogue et conclusion : le sort de Custine, Forster et des soldats de la garnison de Mayence

Après son échec militaire, Custine commence à jouer les potentats militaires, resserrant la discipline, s’opposant aux officiers et agents du ministère de la Guerre à qui il impute sa défaite. Il suscite la suspicion de ses subordonnées. Ne cherche-t-il pas à se servir de son statut de général pour réaliser un coup d’état militaire, comme Lafayette, ou bien comme Dumouriez (passé à l’ennemi, avec l’espoir de régner sur une hypothétique Principauté de Belgique) ?

Des lettres d’accusations, émanant principalement du 2ème Bataillon du Puy de Dôme, arrivent à la Convention, à une époque où Paris cherche des coupables pour payer les échecs militaires et veut épurer une partie des cadres de l’armée. Le 22 juillet 1793, de passage à Paris, Custine est arrêté par surprise. Chargé par Hébert, reconnu coupable d’intelligence avec l’ennemi, il est guillotiné le 22 août 1793. L’ancien héros de Rhénanie finit ainsi, et probablement injustement, sa carrière.

Quant à Forster, il avait quitté Mayence juste avant le début du siège pour aller plaider à Paris devant la Convention le rattachement de la Rhénanie à la France (rattachement qu’avait voté le 21 mars 1793 la Convention Rhénano-germanique). Il plaide si que le rattachement est prononcé le 30 mars... alors que la région est désormais au main des Prussiens. Sa mission sur Paris est terminée, mais le blocus de Mayence l’empêche de retrouver sa famille restée sur place. Il se résout donc à rester sur Paris, où on l’emploie à différentes missions diplomatiques, avant d’y mourir à l’âge de 40 ans en janvier 1794.

Les soldats de la garnison de Mayence, qui avaient été libérés par les Prussiens sous condition de  ne pas combattre les forces coalisés pendant une durée de un an, regagnent la France. Ils sont alors envoyés par la Convention en Vendée pour combattre les Chouans et le soulèvement royaliste qui monte en puissance.
Le siège de Mayence nous a permis de rencontrer des personnalités et des destins hors du commun : le général Custine, officier royal servant la Révolution, héros de la Nation puis traître guillotiné; Forster, naturaliste et écrivain qui voyagea avec Cook, plus radical que les armées révolutionnaires françaises elle-même, et pourtant patriote allemand, qui meurt loin de chez lui à Paris, alors que sa ville est de nouveau occupée par l’ordre ancien.
L’épisode de ce que certains historiens allemands appellent « la République de Mayence » est le premier acte politique fort et démocratique de l’Allemagne moderne. Son écho est grand outre-rhin, où il  restera si bien gravé dans les mémoires que les mouvements révolutionnaires allemands de 1830 et 1848 s’en réclameront.
La quantité de frappe de  ces pièces est inconnue, mais elles ne sont pas très rares, excepté peut être la pièce de 1 sol (pour laquelle pourtant l’édition 2001 du Gadoury ne donne pas à notre sens une cote trop élevé par rapport aux autres valeurs de la série). La frappe de ces monnaies est plutôt soignée pour des monnaies de siège, mais les exemplaires bien centrés et en état superbe sont rares.
Bibliographie

Victor Guillauteau, Monnaies Françaises, Colonies, Métropole - Paris, 1942

 Editions Victor Gadoury, les Monnaies Françaises (1789-2001) - Monaco, 2001
  
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